• Arnaud Bourdeille, Associé |
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Cet article a été rédigé par : Nicolas Deltheil, Antoine Rousseau Arnaud Bourdeille et Antoine Desjars

 

À l’ère du tout numérique, de l’essor des banques en ligne et néo-banques et de la baisse de rentabilité de la banque de détail, les banques traditionnelles ayant pignon sur rue s’interrogent sur leur modèle de distribution physique. Les agences bancaires sont-elles devenues obsolètes ? Quelles sont les nouvelles attentes du public – et quelles pistes s’ouvrent pour réinventer la relation directe avec les clients ?

Depuis 2020, la révolution s’est accélérée pour le commerce dit « traditionnel ». Les boutiques physiques et la relation client, déjà ébranlées par l’essor de l’e-commerce, ont vu leur modèle bouleversé par la pandémie de la Covid-19 et les confinements qu’elle a entraînés. 

Les agences bancaires n’ont pas échappé à ce mouvement : selon une étude du site MoneyVox.fr publiée en juillet 20221, les banques ont fermé 9 % de leurs agences en 2021, tandis que l’activité commerciale des banques de détail chutait de 10 %. En France plus particulièrement, le nombre d’agences bancaires a baissé de 9 % entre 2016 et 2020 – tandis que les interactions physiques entre clients et conseillers ne représentent plus désormais que 12 % des échanges, l’avantage étant passé au digital (78 %). 

Digitalisation et démographie, les principaux facteurs de déclin

Plusieurs facteurs expliquent ce déclin lent mais net. La digitalisation arrive en tête : banques en ligne et Open Banking sont venus rebattre les cartes du jeu bancaire, avec près d’un quart des clients ayant recours à la fois à une banque traditionnelle et à une banque en ligne2. Les clients peuvent désormais assurer eux-mêmes nombre des services autrefois offerts en agence (virements, prélèvements, consultation de comptes, etc.) – et cette dématérialisation a bouleversé le modèle classique, mettant à mal la rentabilité des agences. 

Les facteurs démographiques et sociétaux jouent également un rôle important dans la désaffection des clients pour les agences physiques. « Les générations Y et Z n’ont plus le même rapport à l’argent que les générations précédentes », explique ainsi Nicolas Deltheil, Senior Consultant chez KPMG. « Du smartphone au Bitcoin, ces nouveaux publics gèrent leurs avoirs très différemment, et n’attendent plus les mêmes choses de leur banque ». Vient s’ajouter à cela l’aspect territorial : l’exode rural a obligé les banques à repenser leur maillage, intensifiant le recours à d’autres réseaux du quotidien pour obtenir des services bancaires (buralistes, bureaux de poste, etc.). 

Le service bancaire alternatif Nickel, alliant flexibilité et simplicité, illustre très bien ce mouvement : avec plus de 50 000 nouveaux comptes ouverts en moyenne tous les mois (3 millions de comptes ouverts au total en début 2023), il affiche une belle santé et s’offre la deuxième place au classement des distributeurs de comptes courants sur le territoire français3

Une opportunité de renouveau

Ces éléments conjoncturels et structurels ont contraint les banques à baisser le rideau de certaines agences, afin de conserver de la rentabilité et réaliser des économies de coûts fixes. 

Digitalisation et démographie, les principaux facteurs de déclin - Photo 1

Faut-il pour autant enterrer définitivement les agences bancaires ? Non, répond nettement Nicolas Deltheil : « Ce serait oublier que la situation actuelle représente une formidable opportunité de repenser le modèle ‘traditionnel’ de l’agence bancaire – en le remettant au cœur de l’activité bancaire : allouer la capacité financière des agents vers ceux qui ont un besoin de financement. »

Pour cela, les banques doivent être présentes là où les projets peuvent émerger. Elles sont donc confrontées à la nécessité de revoir leur modèle de réseau d’agences, afin d’y faire revenir les clients. Les banques pourront ainsi trouver leur équilibre entre coût des services, valeur ajoutée et expérience client – et démontrer l’utilité et la complémentarité des agences par rapport au monde digital.

En effet, le self-care – c’est-à-dire l’autonomie du client sur certaines opérations – trouve ses limites face à la complexité de certains produits. Obtenir un prêt, préparer sa retraite, acheter une maison… Certaines situations entraînent un besoin d’accompagnement qui ne peut être satisfait que par des échanges directs avec un conseiller. Et la dimension conviviale n’est pas négligeable : au-delà du conseil, l’accueil et le contact humain sont des atouts certains face à l’impersonnalité d’un écran. 

Par ailleurs, les critères économiques justifient d’investir dans une refonte des agences bancaires : « 80 % du produit net bancaire y est généré, et elles permettent un Net Promoter Score robuste, en termes de retours clients », détaille ainsi Nicolas Deltheil. Alors que près d’un tiers des Français sont multibancarisés4, l’agence peut représenter un outil crucial de rétention des clients : véritable vitrine de la marque bancaire, elle permet une nette différenciation de l’offre, des services et du parcours clients, notamment ceux à haute valeur ajoutée.

Quelle sera l’agence de demain ?

C’est ainsi que des modèles inédits émergent, dessinant ce que pourraient être les agences de demain. Spécialisation et segmentation seront les maîtres mots de ce renouveau : selon le secteur d’activité (comme le fait la Caisse d’Épargne avec le dispositif Vitibanque5, par exemple, dédié aux artisans vignerons), ou encore selon le moment de vie du client (la Société Générale axe ainsi ses offres sur des étapes telles que l’achat d’une résidence principale, la naissance d’un nouvel enfant…)6.

La personnalisation passe également par l’adaptation du rendez-vous aux besoins du client, de la simple question ne nécessitant que quelques minutes au véritable conseil projet, qui peut de son côté prendre 45 minutes ou plus – c’est en tout cas l’approche privilégiée par la BNP Paribas, notamment, avec un modèle cost to serve permettant un pilotage dynamique de la valeur client. Affiner et personnaliser la relation permet ainsi d’accroître la concrétisation des offres en agence. 

Digitalisation et démographie, les principaux facteurs de déclin - Photo 2

Phygital, la nouvelle dimension de la relation client

Parallèlement aux services proposés, c’est l’expérience client tout entière qui doit être repensée : c’est, en effet, le facteur différenciant par excellence par rapport aux offres en ligne. 

Loin des agences d’autrefois et de leurs guichets austères, les banques cultivent aujourd’hui la proximité et la convivialité, rivalisant de créativité pour humaniser leurs locaux, transformés en véritables concept-stores7 : espaces de coworking, cafés, espaces de jeux pour enfants, et même concerts et expositions d’art moderne8... Tout est bon pour optimiser les parcours client. Certaines enseignes, comme La Poste, se diversifient également en proposant, outre des services bancaires et postaux, une offre mobile et internet en partenariat avec SFR9

L’heure est également à l’omnicanalité et au phygital, où comment naviguer entre dimensions « physique » et « digitale », cela sans couture d’un point de vue de l’expérience client. Ces dispositifs permettent au client de disposer en agence des outils habituellement réservés à l’expérience en ligne, tout en ayant la possibilité de solliciter l’aide de collaborateurs présents en agence. Bornes digitales, bureaux en open space et social walls (écrans géants permettant d’agréger et de diffuser actualités des réseaux sociaux, hashtags et informations concernant le groupe et ses événements)10 ouvrent ainsi de nouvelles perspectives en matière d’expérience client et de différenciation. 

Outre-Rhin, l’optimisation est poussée jusqu’au partage d’agence entre banques concurrentes : les FinanzPunkten11, où Sparkasse et Volksbank12 assurent une présence en alternance dans les mêmes locaux, avec une signalisation différente afin que les clients puissent tout de même s’y retrouver. 

L’agence bancaire est morte, vive l’agence bancaire

Deux leviers stratégiques viennent ainsi appuyer le renouveau de l’agence bancaire : la différenciation, d’une part, grâce à des offres et des produits complets et innovants, segmentés en fonction des profils clients, et d’autre part, la relation client, qui passe par l’aménagement des agences, la fluidité des parcours et la satisfaction client. 

Digitalisation et démographie, les principaux facteurs de déclin - Photo 3

« Face à la concurrence qui vient de franchir une nouvelle étape dans la dématérialisation avec l’intelligence artificielle et les chatbots », conclut Nicolas Deltheil, « les agences bancaires ont tout à gagner en investissant dans la proximité et la convivialité, devenant ainsi des lieux de vie, de vente et de croissance – et de véritables marqueurs d’excellence pour les banques. »

L’équipe Customer & Operations FS accompagne les banques de détail dans leur transformation :de la définition de leur stratégie, l’étude de nouveaux segments et opportunités, en passant par l’amélioration de l’efficacité opérationnelle, au déploiement de bout en bout de leurs ambitions.